Statue de procession dite de "Sant Nazari", un joyau du 15ème siècle sommeillait a Torderes

  Il y a quelques années, Gerd Böttcher découvrait dans la niche d’une maison de Tordères qu’il venait d’acheter, une statue de procession. Percevant que cette statue n’était pas ordinaire et qu’elle devait receler de grands secrets, Gerd la donna à la commune et elle fut installée dans l’église Sant Nazari. Elle se présentait alors sous ce visage :

  Dès 2009, les services de restauration du patrimoine du Conseil Général nous firent remarquer que cette statue était particulièrement intéressante et qu’elle méritait une étude un peu plus poussée ainsi qu’une restauration complète. Aussi, juste avant que les travaux de l’église ne débutent, en novembre 2011, le conseil municipal a-t-il donc décidé de confier cette statue aux services du Conseil Général afin qu’ils la restaurent et nous en livrent quelques clés.


  Cette restauration s’est achevée fin 2013. Elle a permis de mettre au grand jour ce que chacun pressentait depuis le début : cette statue (dite «de Sant Nazari») n’est autre qu’un joyau, une splendide pièce du 15ème siècle qui fait désormais l’objet d’une procédure de classement aux Monuments Historiques.


  Debout, le saint est vêtu d’une tunique mi-longue, à grandes manches ouvertes et évasées,  ceinturée, avec un col droit montant, fermé par trois boutons, et il est également chaussé de souliers à la poulaine. Sa nuque est dégagée et ses cheveux couvrent le dessus de sa tête d’une sorte de calotte bouclée. Son visage est rasé. Sa tête est légèrement penchée à gauche. Il tient un livre dans la main gauche et une plume dans l’autre.

  Christine Aribaud, maître de conférence à l’université Toulouse Le Mirail, a donné une série d’informations fondamentales pour mieux dater cette statue. Selon elle, le saint évoque une certaine jeunesse et ne correspond donc pas à la description iconographique de Saint-Nazaire (qui est toujours dépeint comme un homme âgé et barbu), mais plutôt à celle de son disciple Saint-Celse, jeune et imberbe. En réalité, il pourrait également représenter un autre saint ou bien un simple donateur (une personne laïque).

  Le vêtement correspond à la tenue d’un bourgeois (un laïque, peut-être un dignitaire) des années 1300-1350. Le costume est un élément essentiel pour dater la statue et il semble que, tout comme la coiffure, il se rapproche de la période du Quattrocento italien ou l’on rencontre des personnages peints ayant des caractéristiques très proches de cette statue.

  Ce personnage est marqué par un style que l’on a appelé le «gothique international», qui privilégie les courbes, le raffinement des couleurs et des attitudes, ainsi que les habits magnifiques, les gestes précieux et les doigts effilés. Le mélange de douceur et de jeunesse, de lignes gracieuses, d’étoffes souples et de riches couleurs, les lignes sinueuses et les échancrures subtiles des drapés appartiennent aussi à ce courant.


  La statue est sculptée en ronde bosse dans un tronc de bois de pin allant de la tête au socle inclus, avec des assemblages au niveau des deux mains et sur le bord extérieur de la manche gauche, et une présence ponctuelle de toile. Le scanner de l’Hôpital Saint-Jean (Perpignan) a révélé que le support était en parfait état de conservation même s’il avait souffert de brûlures ponctuelles (sans doute liée à un incendie).


  Christiane de Castaigner, la restauratrice en charge de la statue, a découvert trois polychromies superposées, la toute première étant quasiment en ruine. Les laboratoires d’analyse « Art’Cane » (Vannes) et LARCROA (Paris) ont étudié les pigments retrouvés. Ils  appartiennent tous à la période allant du Moyen Âge au 16ème siècle. L’utilisation d’un bleu très spécial (le bleu lapis lazuli) pourrait indiquer que cette statue soit la commande d’un privé car l’utilisation de ce bleu n’existe que dans certains contrats passés au 16ème siècle et, au 15ème siècle, il était directement acheté par le commanditaire afin d’être fourni à l’artiste. Le lapis-lazuli est connu depuis l’Antiquité, il est utilisé en détrempe et fut importé au 14ème  siècle par les Vénitiens. Il est courant de lire que l’outremer valait son poids d’or et c’est pourquoi, au 16ème et au 17ème siècle, son emploi faisait l’objet de conventions particulières entre le commanditaire d’un tableau et le peintre. Il y a donc fort à parier pour que notre statue ait beaucoup voyagé avant de parvenir jusqu’à Tordères.


  Après dépoussiérage, nettoyage, dégagement des repeints et refixation (dans le bon sens) de la main et de la plume, voici l’émouvant visage de notre statue qui resurgit après des siècles d’effacement.

  Un grand merci à toute l’équipe de restauration du patrimoine du Conseil Général, et particulièrement à Christiane de Castaigner qui s’est attelée à ce long et minutieux travail et qui a permis de dévoiler l’immense beauté de cette statue. Et une pensée émue pour Gerd Böttcher qui s’en est allé sans connaître le vrai visage de cette statue mais qui en avait deviné toutes les qualités.


  C’est avec une grande joie et une grande fierté que la commune accepte bien volontiers de confier encore quelque mois cette statue au Conseil Général, le temps d’une exposition (en vitrine, tant cette œuvre est rare et précieuse) à Perpignan. Elle nous reviendra dès que la seconde tranche des travaux aura été effectuée et nous devrons alors prévoir à notre tour une protection (nous savons d’ores et déjà que le Conseil Général, tout comme l’Etat, seront à nos côtés pour nous aider).