Retable Saint-Celse et Saint-Nazaire

Retable avant et après restauration (2008-2009)

  Le retable de l'église Sant Nazari a été entièrement restauré entre octobre 2008 et avril 2009. Il aura fallu sept mois pour venir à bout des assauts du temps sur cet édifice devenu, au fil des siècles, largement défectueux : encrassement, attaques d’insectes xylophages (coléoptères, termites, etc.), fientes d’oiseaux, humidité néfaste, fentes, erreurs du passé (mauvais remaniements, peinture et vernis malencontreusement appliqués par de bonnes âmes qui pensaient alors bien faire), rien n’aura été épargné à notre malheureux retable !

  Toute l’équipe des services du patrimoine du Conseil Général, dirigée par Jean-Bernard Mathon, s’est attachée à faire revivre cette pièce rare venue du fond des âges. Saluons particulièrement les cinq femmes qui sont patiemment intervenues tout l’hiver, parfois frigorifiées mais toujours assidues : Evelyn Stier, Sylvie Richard et Isabelle Desperamont Jubal, assistées de temps à autres par Christiane Castaigner et Naoual Ben Chaal (une stagiaire venue spécialement de Paris pour travailler sur notre retable!). Leur bonne humeur, leur enthousiasme et leur talent ont fait de ce chantier un moment inoubliable. Saluons également Jean-Luc Morard et Joseph Gomez, les serruriers du Conseil Général qui ont réalisé une gigantesque structure métallique (invisible puisqu’elle se trouve derrière l’édifice) afin d’épargner le poids du statuaire au retable ; ainsi que Pascal Verdaguer, le menuisier du Conseil Général, qui a conçu des moulures neuves pour certaines pièces, Rhafid Hamami qui a procédé au traitement insecticide des bois, Marc Michalczak qui a réalisé les photos et Marie-Hélène Sangla qui a effectué les recherches en archives. A tous un immense merci !

  Notre retable, en bois polychrome et doré, mesure plus de 5 mètres de haut et presque 4 mètres de large. Il date du deuxième quart du 18ème siècle, plus exactement de 1749 pour tout ce qui concerne sa polychromie originale et de 1760 pour la polychromie de l’autel. Le tabernacle est plus ancien, il daterait du 16ème siècle.

  On est certain que le peintre-doreur du retable fut Joseph Babores de Perpignan. C’est une inscription peinte sous un panneau sous la console de Saint-Nazaire, derrière le tabernacle, qui en témoigne : « Joseph Babores me decoravit rectare Francisco Puig, 1749 ».

Peu de documents nous renseignent sur ce peintre-doreur. Il serait né à Ripoll et serait arrivé en Roussillon autour de 1720-22. En 1724, il habitait Saint-Laurent de Cerdans. En 1731, après avoir été reçu à sa maîtrise, il s’installait comme doreur à Perpignan. On connaît actuellement peu d’œuvres réalisées par lui : 1724, dorure du retable de Taillet et du Saint-Sacrement à Collioure, 1733, dorure du retable Saint-Eloi, avec le peintre Sauveur Sangla, puis l’œuvre la plus tardive (1749) qu’on lui connaisse, celle de Tordères.

  Quant à l’auteur et la date exacte de la sculpture, ils restent à ce jour inconnus même si elle possède tous les attributs stylistiques de Pierre Navarre, un sculpteur de Perpignan considéré comme à l’origine de l’introduction du style dit « français » dans les retables locaux (en particulier avec le Balaquin de la cathédrale d’Elne, inspiré de celui de Saint-Germain des Prés, en 1723, et qui serait sa première œuvre).

  Ce retable compte quatre niveaux et trois travées. Il repose sur une banquette maçonnée. L’autel, également maçonné, est au centre et possède un tabernacle inséré dans la deuxième marche et un antépendium (il s’agit du décor en bois peint, réversible, qui se trouve devant l’autel).

  Dans chacune des six niches, on trouve différents saints : Saint-Nazaire, dans la niche centrale, Saint-François de Paule (à sa droite), Saint-Joseph portant Jésus (à sa gauche), Saint-Gaudérique (directement au-dessus de lui), et peut-être Saint-Celse ou Saint-Gervais (au-dessus à gauche). Une statue, tout en haut, à droite, a disparu depuis les années 1970. D’après de vieilles photographies, il pourrait s’agir de St. Protais. Enfin, le couronnement de l’édifice repose sur une petite « prédelle » (une sorte de planche) et présente une colombe, aux ailes déployées, au centre d’un médaillon circulaire entouré de volutes ajourées. Toutes les statues sont réalisées en bois d’aulne, tandis que le retable lui-même est en pin.

  Les attaques d’insectes avaient rendu l’édifice très fragile tandis que la poussière l’avait considérablement abîmé. Le retable s’affaissait de plus en plus. Une partie du tabernacle et du socle sur lequel repose Saint-Nazaire, ainsi qu’un angelot avaient brûlé. Les assemblages ne résistaient plus et s’ouvraient un peu partout (travail du bois mais également remaniements  malheureux) tant et si bien qu’au fil du temps, les hommes avaient essayé de maintenir le retable à l’aide de crochets, de clous, de vis, disposés un peu partout et n’importe comment sur l’édifice et sur le statuaire. De nombreux éléments s’étaient détachés (moulures, motifs sculptés et rapportés, rayons d’auréole dont nous avons retrouvé quelques morceaux lors du grand nettoyage 2008 du clocher de l’église). D’autres éléments décrochés avaient été recollés sans forcément respecter l’emplacement initial. Bref, le retable était en fin de course, il était temps d’agir.

  Les restauratrices ont commencé par retirer les gravats qui se trouvaient sur les entablements et derrière le soubassement avant de se lancer dans un long et méticuleux dépoussiérage. Elles ont ensuite démonté tous les éléments qui pouvaient l’être afin de pouvoir se lancer dans le cœur du chantier. Voici quelques-unes des étapes du travail auquel elles ont procédé : reprise d’assemblage défectueux et de cassures (par collage), retrait des clous inutiles, consolidation des surfaces de bois friables et des panneaux de prédelle sous les niches, reconstitution intégrale de la fausse niche de droite, consolidation de la niche centrale, consolidation des gradins (par le biais d’une sorte de cric installé sous chacun, en appui sur la table d’autel maçonnée), désinsectisation curative et préventive, remontage du couronnement, puis lente et patiente intervention sur la polychromie du retable et du tabernacle (refixage et nettoyage de la polychromie, retouches à l’aquarelle, vernissage, etc.).

Un ange avant, pendant et après restauration

  Un compte-rendu d’intervention est disponible en mairie pour tous ceux qui seraient particulièrement intéressés par les détails de cette pointilleuse et remarquable restauration.  Les restauratrices nous ont également laissé des consignes de conservation et d’entretien très claires et détaillées.

  Ces travaux, d’un coût total de 20 740€, ont été subventionnés à 82% par le Conseil Général des Pyrénées-Orientales, la commune apportant les 18% restant à payer, soit environ et à peine 3 800 €. On voit bien à travers cet exemple très concret, toute l’importance de l’aide apportée par le Conseil Général aux petites communes et, à l’heure de la réforme des collectivités territoriales prévoyant la fin du département, de la nécessité de batailler pour maintenir les conseils généraux en l’état.



Identification de quelques statues du retable

 

  Au centre du retable, se trouve le saint protecteur du village, Nazaire de Milan, un soldat romain, martyr du 1er siècle après Jésus-Christ, né à Rome. Il est fêté le 28 juillet (mais également parfois dans certaines régions le 14 octobre ou le 19 juin).

  Il est souvent associé à Saint-Celse, un personnage beaucoup plus jeune que lui, qui lui aurait été confié par sa mère, convertie en Gaule, près de Nice, et qu'il aurait baptisé avant d'être jeté en prison par le gouverneur local. Libéré grâce à l'intervention de la femme du gouverneur, Nazaire rejoignit alors le petit Celse et ils s'en furent prêcher ensemble à travers la Gaule avant d'attirer les foudres d'un autre gouverneur qui les condamna à la noyade. 

  Au cours de la traversée qui les menait à la mort, leur barque, assaillie par une effroyable tempête, aurait été miraculeusement épargnée grâce à leurs prières. Pour les remercier de ce prodige qui leur avait sauvé la vie, leurs gardes les auraient alors libérés. Passant à nouveau les Alpes, leur retour à Milan leur a été fatal. ils ont été décapités en 56 de notre ère, sous le règne de l'empereur Néron.

  Leur culte s’est développé en Italie du Nord, mais aussi en France (en Languedoc puis jusque dans le nord).

  Ces deux saints sont souvent représentés vêtus en soldats romains, avec la palme du martyr (une branche de palmier figurant la victoire) et l’épée de la décollation (celle qui servit à les décapiter). Saint-Nazaire est plutôt âgé et barbu, et Saint-Celse est un enfant ou un jeune homme imberbe. La représentation du jeune soldat romain au retable de Tordères (2ème registre, à gauche) pourrait donc être effectivement une statue de Saint-Celse.

  Toutefois, dans le goig (cantique en catalan) de Sant Nazari, édité en 1935, il n’est pas fait allusion à Saint-Celse mais à Saint-Gervais et Saint-Protais, et dans l’inventaire de 1905 (relatif à la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat), les statues du 2ème registre sont également identifiées à ces deux saints. Ces frères jumeaux (dont les corps ont été retrouvés par Saint-Ambroise en 386) auraient croisé la route de Saint-Nazaire et auraient été décapités à Milan à peu près en même temps que celui-ci.

  Comme la statue de droite du 2ème registre a disparu et que, sur la photo du goig, il est très difficile de la distinguer, on ne sait pas exactement quelle allure elle avait. Si elle était très semblable à celle de gauche, il pouvait également s’agir des frères jumeaux. Dans le cas contraire, l’hypothèse de Saint-Celse convient mieux mais on ignore alors qui pouvait être le second saint du 2ème registre.

  L’église et le maître-autel sont actuellement dédiés à Saint-Nazaire et Saint-Celse même s’il semble que la double dédicace soit assez récente (il se peut qu’elle soit à rapprocher de la disparition de la statue de droite).

  Saint-François de Paule (1er registre à droite) est un ermite du 15ème siècle, patron des marins italiens et fondateur de l’Ordre des Minimes. De sa Calabre natale à la Provence, il redonnait la vue aux aveugles, délivrait de leur mal les victimes de la peste et de la lèpre, rendait la raison aux malades mentaux, etc. Il ressuscita même sept morts, dit-on, avant d’être reçu à la Cour des Rois de France et d’y demeurer un quart de siècle.

  Saint-Gaudérique (au centre du 2ème registre) était un cultivateur ariégeois du 9ème siècle. Il est l’objet d’un culte renommé, en Ariège et dans les Pyrénées-Orientales, pour son pouvoir sur la pluie et le beau temps. En 1014 les moines de Saint Martin du Canigou ont dérobé une partie de ses reliques dans l’église de son village natal. Il faudra attendre 1648 pour que l'abbaye du Canigou offre une partie des reliques à Louis XIII qui les confie à l’abbaye du Val de Grâce à Paris. Le restant des reliques qui étaient demeurées au Canigou fut transporté à l'église St Jean de Perpignan en 1783.